En ce temps-là,
Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple :
28 « Quel est votre avis ?
Un homme avait deux fils.
Il vint trouver le premier et lui dit :
‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’
29 Celui-ci répondit : ‘Je ne veux pas.’
Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla.
30 Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière.
Celui-ci répondit : ‘Oui, Seigneur !’
et il n’y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du père ? »
Ils lui répondent :
« Le premier. »
Jésus leur dit :
« Amen, je vous le déclare :
les publicains et les prostituées
vous précèdent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice,
et vous n’avez pas cru à sa parole ;
mais les publicains et les prostituées y ont cru.
Tandis que vous, après avoir vu cela,
vous ne vous êtes même pas repentis plus tard
pour croire à sa parole. »
« Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » Apparemment, la question est simple, trop simple. Comme dimanche dernier, avec la parabole des ouvriers de la onzième heure, nous sommes dans une vigne ; des deux fils sollicités d’y aller, le premier refuse et finit quand même par s’y rendre ; le deuxième s’empresse de dire oui... et n’en fait rien. Et Jésus pose une question apparemment trop simple aux chefs des prêtres et aux anciens : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »
Si Jésus leur pose cette question, ce n’est évidemment pas pour le plaisir de jouer à qui trouvera la bonne réponse ! C’est pour leur ouvrir les yeux. Car sans la moindre transition il leur dit : vous, chefs des prêtres et anciens, c’est-à-dire ce qu’il y a de mieux intentionné au monde, vous êtes comme le deuxième fils : il dit « Oui, oui, papa », mais il ne va pas à la vigne. Tandis que vous voyez, il y a des gens beaucoup moins recommandables, mais qui sont plus prêts que vous à écouter la parole du Père.
La volonté du Père c’était que son peuple, à commencer par les autorités religieuses, accueille son Envoyé, son Messie, Jésus. Tout le drame de la Passion est là : les plus fervents en Israël, ceux qui attendaient avec impatience la venue du Messie et priaient Dieu tous les jours de hâter sa venue, sont ceux qui ont refusé de le reconnaître.
Les publicains et les prostituées sont des pécheurs publics, c’est entendu ; et ce n’est pas de cela que Jésus les complimente ; ils sont comme le premier fils ; ils ont commencé par refuser de travailler à la vigne ; jusque-là rien d’admirable ! Seulement voilà : Jean-Baptiste les a touchés, et ils ont écouté sa parole. Ce n’est pas parce qu’ils sont pécheurs qu’ils entrent dans le Royaume ; mais parce qu’ils ont cru à la parole du Baptiste. Tandis que vous, les professionnels de la religion, vous avez refusé de croire la parole du Baptiste.
Ici, Jésus fait probablement référence à ce qui s’est passé le jour des Rameaux : au début de ce chapitre 21, Matthieu a raconté l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et les foules ont reconnu en lui le Messie. Elles ont lancé pour lui l’acclamation réservée au roi descendant de David : « Hosanna au fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 1 Mais cet accueil que lui ont réservé les petites gens ne s’est pas répété chez les prêtres et les anciens ; bien au contraire. Peu après, alors qu’il enseignait dans le Temple, ils sont venus lui demander : « En vertu de quelle autorité te permets-tu d’enseigner ? Qui t’a donné cette autorité ? » Sous-entendu : qui t’envoie ? Dieu ? ou toi-même, plutôt ?
Comme souvent, Jésus n’a pas répondu directement : il voulait que ses interlocuteurs trouvent tout seuls ; et donc il leur a renvoyé une autre question, mais qui avait trait à Jean-Baptiste, celle-là. « Le Baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » Et eux n’ont pas osé répondre, de peur de se déjuger eux-mêmes, eux qui avaient préféré ignorer Jean-Baptiste. Alors Jésus leur propose cette parabole des deux fils pour aider leur prise de conscience ; c’est comme un ultime appel qu’il leur adresse. Jésus n’a pas de préférence pour les uns ou pour les autres. Il veut le salut de tous et s’il semble parfois malmener certains de ses interlocuteurs, c’est que le temps presse.
Mais au fait, que disait Jean-Baptiste ? Il disait « Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion ; et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham ». C’était peut-être bien là le problème des autorités religieuses : une espèce de suffisance qui permet de ne pas se remettre en question. Alors que les publicains et les prostituées, parce qu’ils se savaient pécheurs et qu’ils avaient très vif le sentiment de leur indignité, de leur pauvreté, avaient les oreilles et le coeur plus prêts à s’ouvrir.
La difficulté, justement, pour les chefs des prêtres et les anciens, c’était d’ajouter foi à la parole de Jean-Baptiste, puis de Jésus, c’est-à-dire deux individus sans légitimité, à leurs yeux.
Et c’est bien là le fond du problème : dans cette expression « à leurs yeux ». Cela veut dire que, pour eux, la cause est entendue, ils savent ce qu’il en est des choses de Dieu et ils ne peuvent plus voir autre chose que leurs propres certitudes.
Si Jésus propose une parabole à ses interlocuteurs, c’est pour les amener à ouvrir les yeux justement ; or le temps presse de plus en plus puisque nous sommes déjà à la veille de la Passion. Cette parabole des deux fils va encore plus loin que celle que nous entendions la semaine dernière, celle des ouvriers de la onzième heure ; dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, Jésus disait à ses interlocuteurs : vous vous considérez comme des ouvriers de la première heure et vous me trouvez bien indulgent pour les retardataires... Dans la parabole des deux fils, il va jusqu’à remettre en cause leur attitude religieuse : êtes-vous sûrs seulement d’être allés travailler à ma vigne ?
Etes-vous vraiment soucieux de vous conformer à la volonté du Père ?
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