En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
33 « Prenez garde, restez éveillés :
car vous ne savez pas
quand ce sera le moment.
34 C’est comme un homme parti en voyage :
en quittant sa maison,
il a donné tout pouvoir à ses serviteurs,
fixé à chacun son travail,
et demandé au portier de veiller.
35 Veillez donc,
car vous ne savez pas
quand vient le maître de la maison,
le soir ou à minuit,
au chant du coq ou le matin.
36 S’il arrive à l'improviste,
il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.
37 Ce que je vous dis là,
je le dis à tous :
Veillez ! »
PRENEZ GARDE, VEILLEZ
Dans le passage qui précède tout juste celui-ci, Jésus vient de parler à ses disciples de ce qu’il appelle « la venue du Fils de l’homme » et il a ajouté « Ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père. » (Mc 13, 32).
Et il en déduit pour ses disciples ce que nous venons d’entendre : si lui, le Fils, comme il se nomme lui-même, ne connaît pas l’heure de sa venue, nous la connaissons encore moins ; et donc, il ajoute : « Prenez garde, veillez (au sens de « restez éveillés »), car vous ne savez pas quand ce sera le moment ». On a bien l’impression que cela veut dire « vous pourriez vous laisser surprendre ».
La suite du texte va tout à fait dans ce sens : « Vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin » : le « chant du coq », c’est très probablement une allusion au reniement de Pierre (on sait que Marc était très proche de Pierre) ; cette phrase est une mise en garde : si vous n’êtes pas attentifs au jour le jour, il peut vous arriver de me renier sans y prendre garde.
Quelques heures avant cette défaillance de Pierre, Jésus, à Gethsémani, avait dit aux trois apôtres qui l’accompagnaient : « Veillez et priez afin de ne pas entrer au pouvoir de la tentation » (Mc 14, 38). Et il avait ajouté : « L’esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible »... Manière de dire à quel point nous sommes perpétuellement écartelés entre les valeurs du Royaume et le retour à l’égoïsme, l’indifférence, la lâcheté. C’est pour cela qu’il faut prier sans cesse, pour ne pas lâcher la main de Dieu.
Voilà qui éclaire notre texte d’aujourd’hui : « veiller » veut dire « prier » ; non pas prier le Père de réaliser son Royaume lui-même, tout seul, sans nous. Ce n’est pas son projet. Mais prier pour être remplis de son Esprit qui nous fera entrer dans le projet du Père. Alors nous pourrons regarder le monde, qui est la matière première du Royaume, avec les yeux de Dieu si j’ose dire. Et alors, nous deviendrons capables d’agir dans le sens du Royaume.
Vous connaissez la leçon de Luc sur la prière : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Quel père parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu de poisson ? Ou encore s’il demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent. »
Oui, le Jour et l’heure sont le secret de Dieu... « Nul ne les connaît sinon le Père », comme dit Jésus ; mais ce n’est pas une raison pour s’inquiéter, l’Esprit est avec nous. Encore faut-il le prier, c’est-à-dire le désirer ; il ne nous envahira pas contre notre gré.
Du coup, cela éclaire en quoi consiste la tentation : « Veillez et priez afin de ne pas entrer au pouvoir de la tentation », dit Jésus ; et dans le texte d’aujourd’hui, il s’est comparé à un maître de maison qui part en voyage : « Il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l’autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l’ordre de veiller. » La tentation, en quelque sorte, c’est de dormir, c’est-à-dire de négliger la maison ; or on est tout à la fin de l’évangile de Marc, à quelques jours de la fête de la Pâque, c’est-à-dire juste avant la Passion ; tout comme la parabole du jugement dernier chez Matthieu, que nous lisions pour la fête du Christ-Roi ; il me semble que la leçon est la même : avec Matthieu, nous avions compris que « veiller » veut dire « veiller sur » nos frères, afin que grandisse le Royaume dans lequel tout homme sera roi. Marc, lui, a pris une autre image : il dit « votre mission, c’est de veiller sur la maison » !
GARDIENS DE LA MAISON DE DIEU
Nous voilà promus gardiens de la maison de Dieu ! Nous sommes ces serviteurs, ce portier. Voilà la Bonne Nouvelle extraordinaire qui nous sera répétée tout au long de l'Avent : nos vies, si modestes soient-elles, peuvent contribuer à la gestation de l'humanité nouvelle ; c'est ce qui fait notre grandeur. Il a « fixé à chacun son travail » : cela veut dire que chacun d’entre nous a un rôle à jouer, son rôle. Et un rôle efficace puisqu’en partant « il a donné tout pouvoir à ses serviteurs » !
C'est peut-être bien l'une des raisons pour lesquelles personne, pas même le Fils (tant qu'il était parmi nous) ne connaît l'heure de l'avènement définitif du Royaume : c'est que nous avons notre part dans sa construction.
Et il me semble que c’est le message le plus urgent que nous devrions transmettre à nos jeunes ; cela suppose, évidemment, que nous n’attendions pas l’avènement du Royaume de Dieu comme on attend le train, mais que notre attente soit active !
Mais notre problème, justement, c’est que, bien souvent, nous restons passifs, ou pire, nous oublions que nous attendons quelque chose, ou plutôt Quelqu’un ! Et alors, nous occupons le temps à autre chose ; mais occuper le temps à autre chose, quand il s’agit du Royaume de Dieu, évidemment, c’est grave. Et c’est pour cela que Jésus met ses apôtres en garde. Et Saint Pierre, qui a certainement avoué son reniement à Marc, ne le sait que trop.
Voilà donc notre raison de vivre : et quel programme ! Portiers de la maison de Dieu : il nous revient d’y faire entrer tous les hommes. Sans oublier la leçon de la parabole des talents : le maître de maison nous fait confiance, il nous confie ses trésors. La seule réponse digne de l’honneur qu’il nous fait consiste à lui faire confiance en retour et à nous retrousser les manches ! Ce n’est pas le moment de nous occuper à autre chose !