Comment vous est venue votre vocation ?
Je devais être bien jeune comme vous le verrez par la réponse. Quelqu'un m'a demandé :- "Que veux-tu faire quand tu seras grand?" Je lui avais répondu. "Je vais me faire prêtre, évêque, pape, puis Dieu." Et j'ignorais l'existence même de la plaisanterie! C'est le grain de sénevé qui a grandi. Voilà la première étape franchie. Pour les trois autres, l'avenir est devant moi.
Où et quand avez-vous été ordonné ?
J'ai été ordonné le 2 juillet 1960 dans l'église de Hélette, par Mgr Larrart qui venait d'être expulsé de Chine par les communistes. Nous étions deux, raison pour laquelle le Vatican avait autorisé cette ordination en dehors d'une cathédrale, car il fallait l'autorisation du Vatican! J'avais suivi le cursus des études dans les petits et grands séminaires des Missions Africaines : Baudonne (Emmaüs actuel), Nantes, Belgique et Lyon.
Intermède imprévu : J'ai porté l'uniforme de l'armée française pendant 26 mois, moitié en Allemagne, moitié en Algérie en lutte pour son indépendance. Etant d'accord avec eux, j'avais refusé de faire l'école d'officier. J'ai terminé brigadier chef et fus donc libéré deux mois avant les officiers. Après avoir vu que le meilleur des hommes est capable du pire.
Quelles ont été vos différentes nominations et missions ?
J'ai d'abord passé ma licence de théologie à la catho de Lyon. L'année suivante j'étais prof d'anglais au petit séminaire de Baudonne . En 1964 départ en paquebot pour la Côte d'Ivoire où pendant trois ans j'ai enseigné l'anglais au petit séminaire de Bingerville (Abidjan) au petit Joseph Aké, entre autres : je l'ai revu en 2010, Président des évêques de Côte d'Ivoire. C'est là que j'ai fait la connaissance de l'Afrique, avec les élèves et dans les paroisses de brousse où j'allais donner un coup de main pour les fêtes et les vacances.
En Côte d'Ivoire -
Puis j'ai été nommé à la mission de Tiassalé plus vaste que tout le Pays Basque Nord, peuplée d'environ 60.000 habitants dont moins de 10% de chrétiens. Il y avait 45 lieux de culte. Nous étions deux prêtres. Chaque village avait la messe à peu près une fois par mois, dont deux dimanches par an, maxi. Les autres fois, 10, 20, 30 chrétiens se réunissaient dans leur chapelle sous la direction d'un catéchiste bénévole pour célébrer le jour du Seigneur. J'ai lu quelque part que là où 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux. Le catéchiste assurait aussi l'enseignement du caté aux catéchumènes. C'est ainsi que les communautés chrétiennes se développaient. J'y ai écrit mon premier livre dans les années 60-70, un recueil de 1250 proverbes baoulés, langue que je parlais assez bien, les soirs, à la lueur d'une lampe tempête.
Je parlais aussi moré, (mais moins bien) car il y avait plusieurs milliers d'immigrés Burkinabé dans les plantations de bananes, ananas, café et cacao: je les ai aidés à former 9 communautés sur leurs lieux de travail et de vie; je célébrais la messe en leur langue dans des chapelles couvertes de chaume.
Ailleurs, messe en baoulé, au centre, bilingue baoulé-français et trilingue aux grandes fêtes. Pas seulement les chants. Ce qui m'a valu un Noël, les félicitations du Président de la Cour Suprême. Ici j'ai découvert que sur toute la côte, il n'y avait qu'une seule messe en basque, à 9h, avec des milliers d'enfants en ikastola et bilingue.
La ville est très bien desservie, ainsi que les centres de l'intérieur alors que les pecnos des patelins sont à la portion congrue. Il y a deux castes dans notre Eglise, comme en Inde.
Pour ce qui est des "indigènes", je me rappelle les responsables chrétiens d'Abévé que je trouve à Boussoukro "Qu'est-ce que vous faites ici? - On nous a demandé pour régler un palabre - Mais c'est le rôle des vieux du village! - Oui, mais ils nous ont dit qu'ils avaient davantage confiance dans des chrétiens."
A Bodo, renouvellement des responsables du village : le chef et deux des cinq nouveaux conseillers sont choisis parmi les chrétiens qui ne sont pas 40 sur le millier d'habitants.
A Koissikidjokro, aucun chrétien ne sait lire. Jean Baptiste Ato vient du village voisin une fois par semaine sur un vieux vélo rafistolé, faire le caté. Le dimanche il y préside l'assemblée avant de retourner "biner" dans son propre village.
A Mbrinbo Joachim Beiblo est inquiet de l'embompoint de sa femme enceinte. Aurait-elles des jumeaux? Ils étaient interdits dans ce village. "Je suis chrétien. Je n'ai pas à me plier à une coutume païenne". Il l'envoie à Singrobo où naissent deux filles, qui rentreront au village quand elles marcheront. Ce sont les deux premières jumelles de l'histoire du village.
A Airemu, Aya, stérile, avait adopté cinq enfants, interdits de vie par la coutume.
A Kotiessou mon logeur est prêt pour le baptême. Mais il loue trois pièces à des péripatéticiennes. Question delicate à aborder. Un soir que j'étais là bas, en cours de conversation je dis que le lendemain j'allais à Abidjan. - Tu peux m'y emmener? J'y vais aussi. - Avec plaisir." En cours de route je commence : "Eko, tu es prêt pour le baptême, mais il y a ces femmes. - Mais mon Père je n'en ai plus aucune! " Il s'était rendu compte lui même de la situation et s'était privé d'une entrée précieuse d'argent liquide pour être chrétien.
Les premiers baptêmes avaient été célébrés en 1921 par le père Pierre Garcia de Muskildi (Oiloretenea) dont l'oncle a été curé de Hasparren de 1884 à 1912. Quand je suis parti en 1974 deux fils de la paroisse étaient prêtres. Il y en a plus de trente maintenant, enfants des 12 nouvelles paroisses, enfants de l'ancienne. Sur l'ensemble de la Côte d'Ivoire, ils sont passés de moins de cent au millier.
Il ne faut pas croire que tout marchait sur des roulettes. Je me rappelle ces douze baptêmes d'Elosso. Plus tard, le catéchiste est parti à Abidjan... avec ses deux femmes que j'avais baptisées avec lui sans que personne ne me dise rien. Mais c'est cette Eglise aux mains des laïcs, avec ses ombres et ses lumières, qui s'est ainsi épanouie. Ils se géraient eux-même, loin de tout contrôle de notre part.
Un jour sur deux je dormais dans des cases de terre au toit de chaume, couchais sur un tapis de sol, buvait de la bière tiède, mangeait foutou et atiéké, sauce djunblè ou ngatè. Je m'en lèche encore les babines; Rien de cela ne m'a empêché d'être heureux
Retour au Pays Basque
Après une année de ré-acclimatation à Paris où j'ai fait un mémoire sur mes proverbes, je suis revenu au Pays Basque où j'ai commencé à Uhart Cize dans un monde tout autre que celui d'Afrique... et de celui que j'avais laissé en partant: il y avait eu mai 68 . Mais l'Eglise était encore en pleine forme même si on commençait à deviner certaines fissures. A la réunion des prêtres de Baigorri-Garazi, nous nous retrouvions à 17 prêtres : ils sont 5 maintenant. Les célébrations pénitentielles remplissaient deux fois l'église de St Jean, une en basque, une en français. C'est l'Eglise qui les a supprimées et elle se plaint que les gens ont perdu le sens du péché!
Les jeunes et les enfants étaient à la messe. Pas de village sans messe. Trois messes par week end à St Jean Pied de Port. Aujourd'hui : la retraite de la Bérézina. On a ignoré ce que Concile, Droit Canon (lois de l'Eglise), et papes ont recommandé, là où l'on manque de prêtres: les célébrations sans prêtre, comme en Afrique et dans le monde entier. Pratique recommandée à Buenos Aires par le Pape François qui serait, parai-il, un pape extraordinaire ! "Nos sociologues religieux nous disent que l'influence d'une paroisse s'étale sur un rayon de 600 mètres. A Buenos Aires environ deux km séparent les paroisses. J'ai dit aux prêtres : 'Si vous le pouvez, louez un local et, si vous trouvez un laic disponible, qu'il y aille. Qu'il demeure auprès de ces gens, qu'il fasse un peu de catéchèse et qu'il donne même la communion si on le lui demande."
Les évêques de France y ont été favorables. Puis ils ont tourné casaque pour une raison dont je n'ai jamais vu nulle explication. Ils ne connaissent plus que la pastorale des églises fermées le dimanche. C'est un fiasco : pour une demie douzaine qui vont à l'église où il y a une messe, 30 à 40 restent à la maison. Et ils prennent l'habitude d'y rester, même quand la messe est célébrée dans leur église. Même avec une messe tous les quinze jours. A plus forte raison quand ils ne se rassemblent que toutes les trois ou quatre semaines. Quand ce n'est pas tous les 3 mois (4 fois par an!). « Piteux chrétiens » diront certains. « Il ne faut pas éteindre la mèche qui fume encore » a dit un certain Jésus. Nous avons mis aux soins palliatifs, pour l'accompagner vers la mort une église bien vivante; témoins, tous ces catéchistes, organistes, lecteurs, chanteurs, fleuristes, balayeuses, enfants de choeur qui se donnent si généreusement au service de la famille chrétienne de cette communauté naturelle qu'est leur village. Tout cela va fondre comme neige au printemps. Tel est le choix de l'épiscopat de France, qui ne compte aucun Africain alors que 20% des prêtres valides le sont.
On me dira que la messe ce n'est pas tout. Exact ! Mais comment mettre en pratique un Evangile que l'on n'écoute plus? En le remplaçant par les sermons dont les nouveaux prophètes des médias nous matraquent quotidiennement, et leurs tables rondes où tous sont parfois du même avis comme je l'ai vu récemment au sujet du PMA? Ils ne m'ont toujours pas expliqué comment il y a plus de 10.000 suicides par an dans cette France dont ils célèbrent la surabondance, alors que je n'en avais vu que deux en 12 ans dans ma vaste paroisse sous développée. Ni comment on pourra assurer une croissance sans limite en un monde limité. Leur paradis est destiné au même sort que le Grand Soir des communistes qui avait suscité tant d'espoirs mais a laissé 80 millions de cadavres derrière lui, en 70 ans.
Le mirage de la société de consommation est une explication insuffisante ici : nous sommes en présence d'un noyau de résistance particulièrement coriace. Regardons tous ces militants qui donnent leur vie au service de leurs frères, mettant en pratique la parole de Jésus : il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime. Ils ne pratiquent pas le dimanche, mais de là à dire qu'ils ne pratiquent pas... Moisson en partie de ce qui a été semée par nos anciens, en particulier avec Euskaldun Gazteria. J'en cite quelques gerbes : ELB et ses satellites, ikastolas, radios, gau eskola, coopératives, LAB, Bizi et ses 700 militants, Djakité et l'accueil des émigrés etc.. Nos jeunes ont un idéal tout autre que le "sea, sex and sun" de Gainsbourg mondialisé par les médias Nous n'avons ni sol pierreux, ni terre couverte de ronces. Comment l'Eglise peut-elle crever dsur un sol si riche ? Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
Certains mettent la crise au compte de l'évêque. On a tout à fait le droit de ne pas partager les idées de son évêque qui qu'il soit. Je me suis brouillé moi même avec celui qui condamnait l'assassinat d'un CRS à Baigorri après des années de silence sur plus de 25 assassinats de réfugiés par le GAL, le BVE etc...
La dégringolade a commencé bien avant son arrivée où il ne restait qu'un seul grand séminariste. Ils sont 26 . Nous avons eu trois nouveaux prêtres bascophones pour la première fois depuis 21 ans. Qu'il y ait beaucoup de missionnaires venus de l'extérieur ? Ce sont bien des missionnaires étrangers qui ont planté l'Eglise Africaine aujourd'hui si florissante. Et on ne fait pas la fine bouche quand on crève de faim.
La solution? Que les chrétiens prennent conscience qu'ils sont le levain dans la pâte et que l'avenir est en leurs mains. Ils ne doivent pas désespérer, il faut qu'ils s'accrochent, qu'ils durent. La roue a toujours tourné. Qu'ils cessent de faire confiance aux veaux d'or baptisés aujourd'hui croissance, PIB, progrès, pouvoir d'achat, aux nouveaux prophètes de Baal, ancien des grandes écoles et autres saints d'un nouveau Panthéon proposés à notre vénération... Ils conduisent à la ruine, non seulement l'Eglise mais l'humanité, avec son domicile, la terre. La fine fleur de l'intelligentzia mondiale est incapable de contrôler ou d'arrêter la belle machine infernale economico-financière qu'ils ont conçue et mise en marche avec ces paradis fiscaux intouchables, ces 600.000 enfants de moins de 15 an qui meurent chaque année à cause de cette pollution de l'air, intimement liée à la croissance de l'économie etc... . Il y a de plus en plus de gens qui commencent à ouvrir les yeux, surtout depuis qu'un microscopique virus a ébranlé les piliers de tout le système. Nous ne faisons que commencer à entrevoir les conséquences. Preuve, ces licenciements à Ayherre dans une entreprise florissante.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui se pose la question de la vocation ?
J'ai mené une vie heureuse en tant que prêtre, malgré mes hauts et mes bas comme tout un chacun.
"La plus belle fille du monde a des cicatrices" dit un proverbe Baoulé. Je pense que ceux qui me connaissent le confirmeront. Les raisons de ce bonheur et celles de ne pas désespérer, je les ai développées ci-dessus. N'importe quel jeune peut prendre la même route. Jésus nous a dit qu'il donne cent fois plus dès cette vie, à ceux qui le suivent. Avec, cerise sur le gâteau, la vie éternelle en l'autre. Cent fois plus dès cette vie donc. Mais Il ne faut pas confondre consommation et plaisir avec bonheur.
Avez-vous une prière à partager avec nous ?
Une prière qui me plait : le psaume 4.
Beaucoup s'écrient : Qui nous donnera le bonheur? Tu nous remplis d'une joie plus grande que lorsque le blé et le vin sont récoltés en abondance. A peine couché je m'endors en paix